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Le peuplement du pays aïzi (1ère partie)

Comme le disent les traditions orales, les Pèpèhiri sont venus de l'Est, ont vécu parmi les Mekyibo avant d'aller peupler le pays aïzi actuel. Leurs voisins Nladianbo et Odjoukrou les appellent respectivement Azibo et Adisi.

Azibo vient de l’expression ezi (devancier) et du suffixe bo (les gens). Pour les Nladianbo, les Aïzi sont ceux qui les ont précédés, autrement dit leurs devanciers. Pour les Odjoukrou, les Aïzi sont les habitants du pays aux choses douces. En effet pendant leur premier contact, les Aïzi leur ont offert du poisson. Le nom Adisi vient donc de l’expression dè ou dèdè (douce). A notre avis, la racine azi dans le nom que les Nlandianbo donnent aux Aïzi peut signifier simplement Tête. Les Aïzi sont donc la tête, ceux qui sont arrivés les premiers. Quant au nom Adisi, il donne une idée claire de l’origine des anciens Aïzi, car il sert au Ghana à nommer également les Etsi.

Ces Pèpèhiri comme nous l’avons souligné étaient mêlés de Mekyibo. Ils ont été les premiers à s’établir dans le présent Aïzi, cela depuis le 13° siècle. C’est grâce à eux que la pêche et l’institution du système des 12 classes d’âge s’est répandu dans la partie occidentale de la lagune Ebrié. Notons le lien étymologique qui existe entre Azi/Ezi et Etsi/Atsi puis entre Dè/Adisi et Adesi. Les Adesi ou Etsi sont les autochtones du pays Fante. Ils étaient des locuteurs de la langue Guan, avant l’arrivée des Bobor Fante. Leurs origines lointaines se trouvent sur les rives de la Volta noire, en pays Ngbanya dans le Gonja actuel.

Sans nous contenter de simples présomptions étymologiques, disons que les Etsi confectionnaient en souvenir de leurs morts des statuettes en argile. Ces têtes funéraires qu’ils appelaient nsor étaient conservées dans des sanctuaires appelés Nkonkomu-Kwaan. Bernard De Grunne dans son ouvrage consacré aux terres cuites anciennes de l’Ouest Africain, disait que les têtes funéraires de style Fante et d’Agona Asafo héritées des Etsi, sont tridimensionnelles, aplaties et proches des têtes funéraires du style anyi de Klendjabo, elles mêmes issues de celui des Mekyibo.

Les Pèpèhiri sont sûrement des Etsi. Ils ont introduit en pays mekyibo la coutume des têtes funéraires ainsi que des classes d’âge appelées fa. Cette organisation appelée asafo dans le Fante, n’a pas conservé l’aspect classes d’âge. Dans les deux cas, le fils hérite des armes de son père. Au cours de leur mouvement vers l’Ouest, les Pèpèhiri mêlés de Mekyibo, ont essaimé sur les bords de la lagune Potou (potu) et en futur pays tchaman. Cela est important pour saisir les péripéties du peuplement des régions Gua/Goua (Mgbato) et Tchaman (Ebrié). François Verdeaux a noté avec perspicacité le lien de traditions déclarées entre Aïzi autochtones et Mekyibo. Il écrit,  »ces similitudes de situation, jointes à la reconnaissance par les intéressés de relations anciennes mais dont la nature n’a pu être élucidée, suggèrent bien sûr l’hypothèse d’une origine commune ».

Ces relations anciennes sont comme nous l’avons vu confirmées par la tradition orale des Mekyibo. D’ailleurs le mot tête que l’on retrouve dans Azi ou Aïzi se retrouve aussi dans le nom Mekyibo. En effet Mekyibo vient littéralement de Me (palmiers) Kyi/Ti (tête) Bo (les gens), c’est-à-dire les gens de la tête de palmiers. Dans ce nom transparaît aussi l’idée de devancier. A propos du peuplement F.

Verdeaux a relevé l’hétérogénéité culturelle présente du pays Aïzi, caractérisée par une constellation de micro-sociétés, qui sont improprement appelées ethnie. Au niveau du mode de filiation, de résidence, des traditions d’origines, chaque village ou chaque groupe de village a une configuration originale. C’est la même situation concernant la langue. Il en existe trois : l’Apôrô, le Mobou (Mobu) et le Lèlou (Lèlu).

L’Apôrô se parle à Alaba, Tabot, Bapo, Koko, Atoutou (Atutu), Kokore, Tefreji, dans un quartier d’Atoutou Amarou, de Nigui Saff et de Tiagba. Le parler Lèlou a cours à Nigui Assôkô, Tiame (Tchame), dans un quartier de Nigui Saff, d’Atoutou Amarou et deux quartiers de Tiagba. Les villages qui parlent Mobou sont Abrako et Abra Niamiambo. Lynell Marchese et A. Hook au cours de leur enquête en pays Aïzi, ont aussi relevé l’existence de ces trois aires dialectales. La première ou groupe I (Lèlou) a un système phonologique qui est voisin du type Krou (Krou). Sa structure syllabique ne diffère pas non plus de celle des Krou, sauf quelques mots qui sont visiblement des termes d’emprunts. Le groupe II (Apôrô) est un dialecte qui est totalement différent du Krou.

Sur 555 mots, ils n’ont remarqué que 21 mots ayant une forme Krou. Le groupe III (Mobou) disent-ils ressemble au groupe I (Lèlou) mais n’a pas autant de correspondances Krou. Les locuteurs du groupe III affirment que leurs anciens ont essayé de trouver un terrain, à Cosrou (Cosru) mais ils en ont été chassés. Ils sont partis à Toupa (Tupa) où ils ont eu des brassages avec les Odjoukrou, avant de venir à Abrako. A propos de la filiation, tous les villages Aïzi sont matrilinéaires, sauf Abrako et Abra Niamiambo, donc les locuteurs du Mobou.

Qu’en est-il des traditions d’origine. La grande majorité des villages visités par F. Verdeaux quelque soit leur langue et mode de filiation, se dit d’origine Krou, particulièrement Dida. Ce fait curieux lui a fait dire que,  »sans qu’il soit besoin de mettre en doute l’authenticité des traditions d’origine de Tefreji et Tabot, il est permis de se demander si ces versions ne l’ont pas récemment emporté sur celle que l’on a pu recueillir à Atoutou B affirmant que le parler Apôrô de ce village est originaire de l’Est ». Cette version ajoute-t-il, est corroborée par celle recueillie à Tiagba par G. Herault qui, dit que les fondateurs du quartier central de ce village où se parle Apôrô tout comme à Tefreji, sont venus de l’Est. Et comme le dit à juste titre H. Memel Fote, les groupes qui parlent Apôrô sont des Eotilé.

Concernant les traditions d’origine, F. Verdeaux a enregistré les versions suivantes. Les Mobou d’Abrako et Abra Niamiambo disent venir du pays dida. Les seconds ajoutent qu’au cours de leur migration, ils ont fait un détour dans la région de Grand-Bassam. Cela est curieux d’autant plus que cette localité est à l’Est et très éloignée du lieu d’origine proclamé. Les locuteurs du Lèlou clament être venus de l’Ouest. Tiagba précise que leurs ancêtres sont originaires du Sud-Est du pays dida, d’un village appelé également Tiagba.

Source: LOUCOU (J. N.), « D’où viennent les peuples lagunaires de Côte d’Ivoire ? », Afrique Histoire, n° 3,1983, pp. 39-43.

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