Concept traditionnel de l’esthetique chez la femme akan en Côte d’Ivoire
La société ivoirienne comme partout ailleurs est régie par certaines règles bien codifiées. Cette méthode permet d'instaurer une meilleure harmonie et expression dans la société. Aussi en milieu traditionnel, le corps, dans son expression la plus large, reste toujours un moyen privilégié d'apparence.
La façon dont il est exploité et mis en valeur donne des indications très précises sur la société dans laquelle vit l’individu.
Selon le groupe ethnique, l’histoire, l’an et les moeurs, les critères d’appréciation de la beauté du corps varient. Il n’y a pas en fait de beauté universelle mais tout une série de traits physiques qui concourent selon les exigences, les situations, à définir la beauté d’un individu. La beauté est fondamentalement un problème d’identité culturelle, un problème de civilisation.
Ainsi les Akan, un groupe linguistique situé au Centre – Est et au Sud Est de la Côte d’Ivoire et rassemblant plusieurs groupes ethniques, possèdent leur propre concept de l’esthétique.
Cette étude se fixe comme objectifs de:
– définir l’esthétique et son importance socio-culturelle chez les Akan ;
– décrire les critères traditionnels de la » beauté akan » et son exploitation dans ce groupe.
l – definition et importance socio-culturelle de la beauté en milieu traditionnel akan
1 – Définition
D’après BASTIDE (2), l’esthétique se présente comme « une science qui traite du beau et du sentiment que ce beau fait naitre en nous ». C’est ainsi que l’on parle d’une jouissance esthétique ; et celle-ci dépend de la vision du monde du lecteur ou du spectateur.
Les canons de beauté varient d’une société à l’autre ; ce qui est beau pour une société donnée peut ne pas le paraitre pour une autre. Le beau est aussi lié au temps car ce qui semble beau à une époque risque de ne pas l’être pour une autre époque comme par exemple le phénomène de mode. Ainsi, les critères de beauté varient avec le temps, les types sociaux, les classes. Cette notion est relative.
Les Akan, comme les autres peuples, ont une conception singulière du beau. Par dessus tout, il doit prédominer l’harmonie du corps. Toute personne considérée comme belle doit posséder toutes les caractéristiques entrant en ligne de compte du concept beau chez ce groupe. Cette beauté est aussi bien physique que morale et concerne à la fois l’homme et la femme. Mais dans cette étude, nous allons nous intéresser uniquement aux critères de beauté de la femme akan dite belle.
2 – La société Akan
La structure de la société akan est celle d’une société de classes d’âge où prédominent les chefs de lignage dont le plus riche s’impose spontanément comme chef de village. Il s’agit là en réalité, d’un homme fort dont la richesse et le prestige maintiennent la cohésion des groupes familiaux. Ce chef est aidé dans ses tâches par des notables (des personnes riches également) qui représentent les plus hautes autorités villageoises. Ainsi, toute décision fait l’objet de concertation et de consentement de toute la classe dirigeante.
Des personnes de zéro à sept ans ou de zéro à dix ans, constituent une classe d’âge dans certains groupes ethniques. Chacune des classes d’âge joue et connait son rôle dans la société villageoise.
Sur le plan idéologique, il faut noter la prédominance des idées de justice et d’égalité; surtout entre les familles, la tendance à l’affirmation individuelle, l’attachement aux valeurs de concurrence et de compétition.
3 – Exploitation du beau chez les Akan
Toute personne considérée comme belle, est une des personnalités de marque de la société villageoise, symbole de la beauté physique mais aussi de la beauté morale. Ces belles personnes, qu’il s’agisse d’une jeune fille ou d’un garçon, feront la fierté de leurs familles qui seront à tout moment sollicitées.
Ces personnes seront représentées à l’intérieur ou à l’extérieur de la société comme un élément de prestige et de publicité.
Ainsi, lors d’une cérémonie de réjouissance (fête d’igname, fête de génération…), ces personnes seront parées des plus beaux habits et bijoux de la famille pour mettre encore plus en valeur leur beauté. Elles se changeront plusieurs fois durant la cérémonie et à chaque fois vêtues différemment. Elles seront habillées de manière à ce que soit :
– certaines parties du corps restent visibles ; dans ce cas, des morceaux de pagnes ou de foulards de différentes couleurs bien pliés seront disposés autour de leur bassin, laissant découvrir le ventre, les seins et les mollets; parties du corps qui doivent être appréciées de tout le monde;
– le pagne » kita » bien cousu (tissu traditionnel tissé q u ‘ a ffectionne particulièrement le groupe akan), recouvre pratiquement tout le corps, ne laissant apparaitre que la tête, le cou, les bras et les orteils;
– les fesses bien développées et rebondies sont mises en relief par le port d’un morceau de pagne bien serré à la taille et un autre morceau plié, placé autour des seins….
Le cou, la tête, les bras et les doigts seront parés de bijoux en or, renouvelés à chaque passage de ces belles jeunes filles. Ainsi, ces filles seront au devant de la scène pour être admirées de tous. Elles seront accompagnées dans leur déplacement par d’autres jeunes filles de la même génération dont certaines porteront sur leur tête, des cuvettes contenant les différentes tenues et les bijoux de rechange prévus par les familles. Incarnation de la beauté, elles vont attirer et séduire les hommes et les femmes. Ces filles seront surveillées, isolées du tumulte de la fête pour n’apparaitre qu’à des moments bien précis pendant la cérémonie.
Les familles choisissent également ces périodes de grande affluence pour confirmer l’importance de leur richesse ou plutôt pour faire parti des plus hautes autorités du village voire même de toutes les contrées environnantes.
II – L’esthetique chez la femme akan
Les Akan en Côte d’Ivoire ont des canons de beauté particuliers c’est à dire qu’il y a une esthétique akan. Cette esthétique Akan regroupe à la fois des traits physiques et des traits moraux.
1 – Les traits physiques de l’esthétique
Ils sont nombreux chez la jeune fille akan.
Celle-ci doit avoir :
La taille moyenne
Elément très important considéré par les Akan. En effet, la belle jeune fille akan désignée ne saurait être une naine. Elle doit avoir la taille moyenne, prédominante dans ce groupe ; environ 1,68 m.
Le teint noir d’ébène ou très clair
L’exigence est de règle chez les Akan et le teint est d’une importance capitale. Il n’ y a pas de juste milieu dans les critères de beauté en général. Si la jeune fille est de teint noir, se doit être un noir brillant plutôt que mat. En effet, les Akan comparent ce teint noir brillant à l’ébène une fois sculpté et bien fini qui apparait brillant, homogène, lisse et doux au toucher. De même, si la jeune fille est de teint clair, c’est d’un clair net et pur sans alternance de parties sombres et de parties claires souvent observées chez les jeunes filles qui font usage de produits pour éclaircir la peau.
Il faut en fait une harmonie totale du teint de la jeune fille.
La chevelure abondante
La coiffure dont l’agencement constitue souvent un art assez compliqué, est également destinée à rehausser l’aspect physique. La chevelure abondante, fine « comme la soie », permet de mettre en valeur les tresses dont la réalisation prend quelquefois plusieurs jours.
Ensuite des parures en or seront disposées sur ces tresses de façon à donner un coup d’éclat à cette partie du corps.
Le visage ovale et des sourcils bien fournis
Cette forme de visage donne un profil harmonieux à la jeune fille.
L’appréciation du visage se fait dans tous les sens, de face comme de profil.
De même, l’abondance de la chevelure implique une abondance des sourcils expliquent les Akan.
Les yeux grands et en amande
Les yeux ne sauraient être très petits et cachés dans les orbites. Ils doivent au contraire être bien visibles et appréciables par tous.
Le nez assez droit
Ce type de nez beaucoup recherché, s’observe chez quelques individus. Il permet d’obtenir un profil assez régulier du visage.
Les gencives noires et les dents très blanches avec un écart central
La gencive doit être naturellement colorée ; elle est en général de couleur gris-violet. Ainsi, cette couleur de gencive va faire ressortir la blancheur des dents lors du sourire. De même, l’écart central, signe de beauté, va rehausser le physique de la jeune fille surtout la beauté de son sourire.
Le cou long et strié
La tête ne doit pas être confondue avec le tronc. Le cou long permet de dissocier ces deux parties du corps. Et les stries du cou vont davantage donner un coup d’éclat à cette partie du corps.
Les seins bien développés
Les seins développés donnent un galbe à la poitrine et affine davantage la féminité de la jeune fille.
Les jambes galbées assorties de jolis mollets
Les jambes galbées doivent être droites de sorte que la jeune fille se tienne correctement débout. Même si les mollets sont bien jolis, une jambe en X affecte la beauté de la jeune fille.
Les orteils, les doigts fins et longs
Les oreilles bien proportionnées font également partie des critères de beauté akan.
L’agencement des différentes parties du corps constitue l’élément essentiel de la beauté. Une Akan qui a ces traits et qui est, de surcroit callipyge, (fesses fortement développées), passe pour le prototype de la beauté. C’est « l’AOULABA » chez ce groupe. Cette jeune fille sera parée de bijoux en or et de pagne « kita » qu’affectionne particulièrement le groupe Akan en Côte d’lvoire.
Ces jeunes filles maintiennent leur beauté en prenant particulièrement soin de leur corps même en dehors des différentes cérémonies de réjouissance où elles seront sollicitées, parées de bijoux et d’habits les plus somptueux de la famille. Elles vont tresser leur cheveux ; après s’être lavées, elles vont souligner les stries du cou avec du « kaolin », genre de talc traditionnel (de l’argile blanche) et dont l’emploi symbolise en milieu traditionnel, la pureté, la paix, le bonheur, la joie selon les circonstances …
Elles vont porter des boucles d’oreilles et des colliers en or, un pagne et une camisole, des bagues dorées…
Pour celles qui possèdent tous les traits physiques sauf la gencive qui n’est pas de couleur gris-violet, elles auront recours au tatouage de gencive afin de pouvoir la contraster avec les dents blanches. De même, il n’est pas rare de voir certaines jeunes filles recourir aux mutilations des incisives centrales pour obtenir un diastème inter-incisif appelé communément « la brèche centrale ».
Mais toute personne chez les Akan qui ne possède pas au moins deux de ces critères esthétiques est considérée comme laide.
De même, les Akan allient l’esthétique physique à l’esthétique morale.
2 – Les traits moraux de l’esthétique Caractérisés par :
– la générosité ;
– la solidarité ;
– la droiture ;
– le respect de la parole donnée, du prochain, des vieux ;
– l’esprit communautaire ;
– la pratique de l’hospitalité ;
– l’amour du prochain.
Tous ces traits moraux sont des éléments recherchés dans une vie communautaire, comme c’est le cas en milieu traditionnel.
Il faut surtout être à la disposition des ainés, les respecter et surtout s’acquitter de tous les services demandés par ceux-ci sans manifester un mécontentement.
Mais en général, la beauté ne va pas forcement de pair avec la morale, mais certains sous-groupes akan par exemple les Attié, croient qu’il y a correspondance entre celle-là et celle-ci. Pour eux, une belle personne ne fait pas de mal tandis que la laide symbolise la méchanceté. Ce qui n’a jamais été prouvé. Il peut avoir des personnes laides et méchantes, d’autres laides mais bonnes. On voit aussi des belles personnes et méchantes mais d’autres belles et généreuses.
Conclusion
La structure sociale akan est bien organisée avec des classes d’âge, des chefs de lignage. Les Akan ont également leur concept de l’esthétique aussi bien chez la jeune fille que chez le garçon. Les personnes répondant aux prototypes de l’esthétique akan seront mis en exergue par les diverses parures en or dont affectionne particulièrement ce groupe. Ces critères traditionnels de beauté ont une influence sur certaines personnes.
Et il n’est pas rare en pratique odonto-stomatologique dans notre milieu, de voir des patientes exiger des praticiens que ceux-ci reproduisent certains critères de beauté akan lors des soins dentaires (la coloration en gris-violet de la résine en prothèse partielle ou totale ou bien la création d’un diastème inter-incisif ou encore l’exigence de dents prothétiques très blanches même si celles-ci ne sont pas en harmonie de couleur avec les dents naturelles en bouche…).
Auteurs:
Assoumou N.M., Gnagne-Koffi N.D.Y., Adou J., Assoumou A.A., Mansila-Abouattier E.C.
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