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F.H. Boigny raconte la naissance du R.D.A (1ère partie)

Nul ne contestera que Félix Houphouet-Boigny est le principal artisan de la création du R.D.A. C'est donc à lui qu'il convient de se référer pour avoir un témoignage de première main sur les tractations qui ont marqué la naissance du mouvement, les épreuves qui ont jalonné son parcours et les fruits qui en ont récompensé le combat.

Il y avait trois formations politiques qui se partageaient les responsabilités du pouvoir, même avec de Gaulle.

C’étaient le Parti communiste, le Parti socialiste (la S.F.I.0. d’alors) et le parti M.R.P. Et quand notre doyen, feu Lamine Guèye – parce que le Sénégal faisait de la politique avant notre entrée au Parlement – a voulu nous inscrire tous au Parti socialiste, c’est moi. le plus petit, qui ai fait la suggestion: « il faut que nous nous répartissions entre les trois formations politiques si nous voulons avoir une majorité capable d’appuyer les revendications que nous voulons présenter au nom de nos pays, de nos populations».

J’ai été suivi et très rapidement: tous se sont inscrits, là, sur place, qui pour le Parti socialiste. qui pour le M.R.P. Il restait le Parti communiste: il n’y avait plus personne pour s’inscrire et c’est moi qui venais de faire les propositions. Que faire? C’est alors que Fily Dabo Sissoko, qui s’était déjà fait inscrire au Parti socialiste a dit: « Cher frère, tu ne peux pas nous rejoindre, tu ne veux pas rejoindre le Parti communiste. Alors, puisque tu demandais à ce qu’on prenne les trois formations. je vais te proposer ceci : je suis avec le M.U.R., le « Mouvement uni de la Résistance » ayant à sa tête mon ami d’Astierde la Vigerie, président du Parti progressiste français. Avec les De Chambrun (qui vit encore) nous allons nous apparenter au groupe de d’Astier de la Vigerie, lequel groupe est déjà apparenté au groupe parlementaire communiste – pas au Parti communiste. » Et il a ajouté: « Vous savez, on n’a pas recruté les disciples de Lénine dans les rangs des descendants des Tsars – si encore il était resté des descendants, parce qu’on les a tous exterminés le 17 octobre 1917. Ce sont des alliances comme toutes les alliances ». Je l’ai rappelé: les libéraux français et américains se sont alliés aux Russes communistes dans la lutte contre Hitler, mais après, chacun a repris son idéologie propre: les uns sont demeurés libéraux, les autres se sont maintenus communistes.

« Donc nous allons, pour des raisons tactiques, nous apparenter au groupe parlementaire de d’Astier de la Vigerie, qui nous amènera au groupe parlementaire communiste ».

C’est ce que nous avons fait.Mais nous n’avions pas de base populaire en Afrique. A l’exception du Syndicat agricole africain de la Côte d’Ivoire qui a donné naissance au P.D.C.I., mes autres collègues n’avaient pas de formations de base populaire. Et nous avons donc projeté de faire appel à tous les pays africains d’expression française de l’ex-A.O.F. et de l’ex-A.E.F. pour nous fournir des bases populaires pour notre action à Paris. Nous étions quatorze à signer le Manifeste invitant les population à nous envoyer des délégations a Bamako, retenu sur la demande expresse de Fily Dabo Sissoko puisqu’on a écarté Dakar et Abidjan, sur sa demande, en faveur de Bamako. Tous ont répondu comme un seul homme, qui en avion, qui à dos de chameau ou de cheval, qui à bicyclette, les plus proches de Bamako à pied. Ils se sont rendus au jour «J» en octobre 1946. Nous avons été avisés qu’ils étaient tous rassemblés à Bamako.

C’est le drame de ma vie. Barbé, communiste, qui était en rapport avec nous, qui se méfiait même quelque peu de moi (puisque, si Fily Dabo Sissoko et moi étions des chefs de canton, Fily ne disposait d’aucune ressource au Mali, alors que moi, j’avais mes plantations, j’employais de la main-d’œuvre; et pour eux, celui qui emploie de la main-d’oeuvre doit être examiné sous un angle sceptique). Barbé donc, ce soir-là, rue Vaneau, à l’hôtel que j’habitais et au troisième étage, entre et me dit: « Le Parti cornmuniste vous avait mal jugé mais aujourd’hui, nous nous rendons compte que vous êtes le seul défenseur de la masse africaine. Tous les autres ont trahi. Et même pas intelligemment. Ils ont accepté de Moutet (qui était ministre de la France d’Outre-Mer) des chèques au lieu de l’argent liquide. Et nous avons les numéros de tous les chèques que vos collègues ont touchés pour trahir leur pays ».

C’était triste. Je n’y croyais pas. A son départ, je suis descendu au deuxième étage qu’occupait notre frère Fily Dabo Sissoko. Et je dis: « Grand frère (il était beaucoup plus âgé que moi), voilà ce que vient m’apprendre Barbé. Il paraît que vous n’irez plus à Bamako et qu’on vous à payer avec des chèques »

Extraits de la Conférence de Presse du 14 octobre 1985

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