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Fêtes de l’Igname – Célébration du ‘Miripkô’ et ‘Djidja’ en pays Abbey

La célébration de l'igname précoce ou 'Miripko' et le 'Djidja', cérémonie de purification qui s'en suit, sont les rares évènements qui continuent de fédérer le peuple Abbey, dans le département d'Agboville. Nous avons pu vivre ces deux éléments culturels phares, qui se sont tenus dans le village d'Ery-Makouguié 1, à trois km d'Agboville, dans le canton Tchoffo.

Le Miripkô, son origine et sa pratique
C’est le ‘Nanan’ ou chef de terre du village d’Ery-Makouguié1, Ada Kouassi Haudy Marcel, qui a lancé officiellement le 08 juillet, la consommation de l’igname précoce pour l’année 2013. ‘Miripkô’, comme on l’appelle en langue Abbey, se célèbre selon le calendrier Abbey (qui comprend une semaine de six jours au lieu de sept), en début du mois juillet.

Selon les explications, il faut donner l’occasion à chacun des chefs de terre de célébrer le Miripkô dans son village, pour donner droit à sa population d’en faire autant. L’objectif étant que chaque village célèbre l’évènement, selon un calendrier préétabli, avant que la grande fête de purification ou ‘Djidja’ ne débute courant septembre.

Il s’agit durant le ‘Miripkô’, de célébrer mystiquement l’igname précoce par des libations auxquelles ne prennent part que les initiés, puis de lancer officiellement sa consommation dans les 104 villages du département, nous explique Abou Jean, le secrétaire du Nanan. Nous n’aurons donc pas droit à assister à cette séance. Nous avons néanmoins l’honneur d’être invité peu après 11H00 du matin, à la table du Nanan, pour consommer le ‘Foufou’ de l’igname précoce, préparé à l’aide d’huile rouge pimentée, accompagné d’une sauce claire, contenant du poisson et de la viande domestique. « Aujourd’hui, je ne parle pas, car ce n’est pas le moment. Mais, revenez le jour du ‘Djidja’, et je serai à votre disposition », nous fait savoir le Nanan.

La pratique du ‘Miripko’
L’Abbey du village d’Ery-Makouguié 1, ou son invité, ne sont autorisés à manger l’igname précoce, qu’à partir du moment où Nanan Ada Kouassi Odi Marcel, chef de terre de cette localité à trois kilomètres d’Agboville, a initié le rite.

« Chez nous, c’est un produit noble pour lequel la consommation exige des sacrifices », a indiqué, Ohochi (appellation du chef en langue Abbey) Edi MBesso Louis, chef du village d’Ery-Makouguié 1 et président du Conseil Supérieur des Rois et Chefs Traditionnel de Côte d’Ivoire, section Agboville. Il explique qu’il s’agit d’une cérémonie d’initiée, qui s’achève publiquement, par la consommation de l’igname précoce par le chef de terre, suivi d’une libation. L’édition 2013, qui s’est tenue le lundi 08 juillet, a respecté cette tradition. Selon la coutume Abbey, chaque année, la célébration de l’igname prémices ou ‘Miripkô’ est effectué par le ‘Nanan’ ou chef de terre du village d’Ery-Makouguié 1.

Il s’agit des premières productions d’ignames sorties du champ. Chef Edi MBesso a insisté sur la célébration de la fête d’Ery-Makouguié 1, qui se tient très tôt dans le mois de juillet, afin que les autres villages puissent à leur tour la célébrer. Le village d’Ery-Makouguié 1 est depuis toujours le premier village du département à ouvrir le cycle des sacrifices. « C’est la tradition qui l’exige », fait remarquer Ohochi MBesso Louis.

Après l’annonce de la consommation par le Nanan d’Ery-Makouguié 1, qui avait invité ce jour-là, une dizaine de collègues venus des autres villages, chaque chef de terre des autres villages Abbey, est alors autorisé selon un calendrier, à célébrer le ‘Miripkô’ , puis à manger l’igname. Le Miripkô est un sacrifice au cours duquel, l’on remercie les ancêtres et génies, d’avoir favorisé la production de l’igname dans leurs eaux. On donne la part des esprits, avant que le commun des mortels ne commence à manger. « C’est un rituel qui n’appartient qu’aux initiés », dit subrepticement Nanan Ada Kouassi Haudy Marcel, qui ce jour-là, parle très peu.

Le ‘Miripkô’ se célèbre au sein des familles dans chacun des quatre cantons Abbey, indifféremment d’un quelconque ordre. Pourvu que Nanan Haudy Marcel du village d’Ery-Makouguié 1 ait accompli le rite, fait observer le chef de terre de la cité d’Agboville, Nanan Djidja Denis. « Si vous célébré avant Ery-Makouguié 1, vous êtes amandé », précise le sage.

Cet ordre n’est pas le même, en ce qui concerne la fête de purification ou ‘Djidja’. Cette fois, c’est le village de Grand Morié, localité située en amont du fleuve Agbo, qui lance la fête. On parlera alors de fête de ‘Djidja’, pompeusement appelé fête des ignames, alors qu’il s’agit de la fête de la purification.

La célébration du ‘Djidja’ ou cérémonie de purification
Morié, Tchoffo, Khoss et Abbeyvê, sont les quatre cantons du département d’Agboville, où réside le peuple Abbey. Les sages ont expliqués que la célébration du ‘Djidja’ obéit à deux règles cumulatives fondamentales dans le temps et dans l’espace.

D’une part, qu’un délai d’un mois soit respecté dans la célébration de la fête entre deux cantons. Ensuite, que chaque canton la célèbre selon son positionnement le long du fleuve ‘Ogbo’ ou Agnéby, de l’amont vers l’aval. Ainsi, avec cette règle ancestrale, la fête de la purification ou ‘Djidja’ ou fête de l’igname, s’ouvre par le canton Morié en amont du fleuve ‘Ogbo’ ou Agnéby, courant septembre, pour s’achever en décembre, par le canton Abbeyvê, situé en aval du fleuve. Les cantons Tchoffo et Khoss, célèbrent eux, l’évènement respectivement en octobre et novembre, toujours tenant compte du calendrier Abbey. L’explication mystique est qu’il faut laisser le temps à l’eau souillé issu des séances de purification des initiés de chacun des villages du canton, ainsi qu’aux débris et autres décoctions, d’êtres emportés par l’eau des rivières pour se jeter dans le fleuve. « Aucun canton ne doit recevoir les impuretés d’un autre canton », fait observer Nanan Ada Kouassi Haudy Marcel, chef de terre Ory-Makouguié 1.

Les trois jours de fête
On parle de fête de Djidja, « pompeusement appelé fête des ignames », alors qu’il s’agit de la fête de la purification, a précisé Chef Edi MBesso. Elle se déroule sur trois jours francs.

D’abord, l’Etigbanon’, tam-tam sacrée en langue Abbey, annonce à la veille de la première journée dénommée ‘Eshô’, que le ‘Djidja’ débutera le lendemain matin, et cela, sur instruction du chef de terre. On constatera qu’avant la levée du jour, les femmes du village s’attèlent à faire le feu, préparer les marmites et laver l’igname ‘Kponan’, pendant que le chef de terre et sa cour se rendent à la rivière sacrée, pour une séance de purification, au nom de l’ensemble du village. Le son de la trompette en corne, entendu depuis le lointain, annonce le retour des dignitaires de la rivière.

« Vous devez faire en sorte que personne ne vous touche durant le trajet retour, au risque de voir reprendre la séance de purification », précise le secrétaire du Nanan, Abou Jean. Le Foufou d’igname, badigeonné de piment et accompagné d’une sauce, remplie de bons poissons et de souvent de viande de chèvre, est le seul met confectionné dans chaque concession du village, le premier jour du ‘Djidja’.

Le Chef de terre, Nanan Ada Kouassi, confirme l’information. Avant midi, chaque cour du village du canton Tchoffo, est noire de monde, en ce premier jour du ‘Djidja’ ou ‘Eshô’. A Ery-Makouguié1 à 03 km d’Agboville, où nous prenons part à l’évènement culturel phare du peuple Abbey, nous apprenons que la coutume exige que le fils du village qui n’est pas rentré au soir de la première journée, ne pourra intégrer le village, que le lendemain, après que midi soit passé.

‘Ekichi’, appellation de la deuxième journée, est consacrée à un met différent. Cette fois, on mange du foutou de banane mélangé au manioc et accompagné d’une sauce au choix. « Mais, on exige que se soit une sauce de luxe, donc des grands jours », fait remarquer le secrétaire Abou Jean. Le Djidja se veut à la fois une fête annuelle de purification, mais aussi, un moment de charité, où l’on est tenu d’abandonner toutes les disputes, incompréhensions et palabres qu’il y a eu tout au long de l’année. « Les familles s’invitent mutuellement, quand bien même, chacun à suffisamment à manger dans sa cuisine », fait savoir Nanan Kouassi Haudy Marcel.

La troisième et dernière journée, est celle des danses et des bénédictions. Elle marque l’apothéose du ‘Djidja’ dans la culture Abbey. A Ery-Makouguié 1 singulièrement, le Nanan sort de sa cour, vêtu d’un boubou en tissue dentelle blanc. Un morceau de ce même tissu noué est porté autour de la tête. Nanti d’une canne de commandement, l’octogénaire parade sur l’artère principale du village, encadré de sa cour et sous un immense parasol. Nanti de cet accoutrement d’autorité, il fait son apparition sur la grande place du village, sous les sons des tambours. A peine a il prit place, que les premiers danseurs entament leurs prestations. Dans ce village, des représentants des quatre familles vont se produire à tour de rôle. Les danseurs rivalisent d’adresses et reçoivent des présents de la part du public et particulièrement du Nanan. Le meilleur danseur de chaque famille est porté en triomphe sous une clameur. Chaque famille présente plusieurs prestations, avant que ce moment de gaieté ne prenne fin avec les libations du chef de terre.

Nanan doit délivrer des bénédictions à tout le village et singulièrement, à ceux qui sont présents, afin de mettre fin à l’édition 2013 du ‘Djidja’, ce samedi 05 octobre. « Nanan, représentant le bonheur et la pureté, doit finir d’adresser ses bénédictions, avant que le jour ne cède la place à la nuit », révèle encore son secrétaire, qui semble détenir de nombreux secrets. Il dit regretter l’absence de nombreux cadres du village, dont les préoccupations modernes et la religion mal assimilée, conduit parfois à tourner le dos au Djidja. « Vive l’édition 2014. En attendant, nous irons manger dans les villages des cantons Khoss en novembre et Abbeyvê en décembre », soutient en cœurs la jeunesse du village.

AIP

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