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Le sacrifice du Miripôh ou la fête des ignames en pays Abbey

En Côte d'Ivoire, l'igname, plante tropicale vivace et grimpante à gros tubercules, est intimement liée à l'histoire d'une partie du peuple Akan. Ce tubercule aurait été salvateur pour ce peuple dans une circonstance donnée de son histoire.

Il a tantôt fait son apparition mystérieuse à un moment critique pour sauver certains groupes d’hommes d’une famine effroyable, tantôt joué le rôle d’un aliment à propriétés particulières, voire surnaturelles.

D’où l’instauration par ce peuple d’une fête de l’igname qui apparaît comme la participation du vivant à un festin en l’honneur du tubercule salvateur.

Le peuple Abidji de Gomon aurait été sauvé au temps jadis, d’une terrible famine grâce à des ignames qui avaient poussé spontanément à l’endroit où fut enseveli sur l’ordre du génie Bidyo, le fils d’un chasseur. Ce fut l’origine du Dipri où la commémoration du sacrifice de Bidyo, fête qui draine chaque année à la fin du mois d’avril, à Gomon, dans la région de Sikensi, des foules d’hommes venus de tous les horizons.

Chez le peuple Agni de l’Indénié, la fête de l’igname revêt plus de solennité que les autres rituels en usage dans la région. C’est l’occasion de la grande sortie annuelle du roi, avec tout le cérémonial qui s’y rattache.

Chez les Baoulé, grands cultivateurs et consommateurs d’ignames, la fête du tubercule n’est pas prête de disparaître. En général ces peuples Akan ont l’igname comme référence calendaire, c’est la récolte de la nouvelle igname qui annonce le nouvel an.

Chez les Abbey, on manifeste deux fois dans l’année en l’honneur de l’igname mais la véritable fête des ignames en pays Abbey, c’est le « sacrifice du Miripôh », célébré de façon très sobre.

Le « Djidja », célébré avec faste pendant trois jours et improprement appelé « fête des ignames », est en réalité la fête de la purification qui marque la fin d’une année et le début d’une autre. Honneur est seulement rendu à l’igname pendant ces festivités car le premier jour, uniquement l’igname est consommée par les populations après certains rituels.

Les origines du Miripôh

Le sacrifice du Miripôh est la fête des prémices de l’igname précoce pour remercier Dieu, les génies et les ancêtres. Ce sacrifice fait par le chef de terre est très important pour les populations car il sonne le départ de la consommation de l’igname dans tout le village.

Personne dans le village n’a le droit de consommer l’igname précoce fraîche même achetée au marché, avant ce sacrifice qui se fait dans les mois de juillet et août.

Le chef du village d’Erymakouguié 1, dans le canton Tchoffou, est toujours le premier à faire le sacrifice du Miripôh. A sa suite, les chefs de terre des autres cantons Morié, Khos et Abbeywé peuvent au jour qui leur convient faire leur sacrifice.

L’honneur de démarrer le sacrifice du Miripôh dans tout le département revient au chef de terre d’Erymakouguié 1, car selon la légende, le peuple Akyé a été sauvé d’une grande famine grâce à un chef de terre de ce village qui aurait accepté à la demande d’un génie, de donner son fils unique en sacrifice pour sauver le peuple d’une extinction certaine.

Le corps de l’enfant immolé aurait été découpé en morceaux et mis dans des buttes qui ont produit instantanément des ignames.

Le génie a donc dit au peuple de ne pas manger l’igname tant que le chef de terre qui a autorisé le sacrifice de son enfant n’en aura pas goûté, au risque de se voir frappé d’une malédiction.

Le sacrifice du Miripôh est donc la commémoration du sacrifice fait par ce chef de terre.

Le rituel du Miripôh

Tout part du défrichement d’une parcelle de forêt pour le champ. Le premier jour, on défriche 2 ou 3m2 de forêt. On y place un signe pour indiquer son intention de créer à cet endroit un champ. On parle alors aux génies qui habitent les lieux pour demander leur amitié et obtenir leurs faveurs. On prend aussi l’engagement de partager avec eux ce qui va sortir de ce champ. On leur offre du tabac et de la boisson pour sceller le pacte d’amitié.

La récolte de l’igname se fait à la septième lune qui apparaît au plus tôt à la fin du mois de juin mais généralement dans la première quinzaine de juillet.

Il s’agit de la variété d’igname appelée « Darie », dont la tige produit deux fois. La première production sert à la fête du Miripôh et à la fête du Djidja, la deuxième production qui est un rejeton appelé « Olo » en langue Abbey, étant conservée pour la future semence bien qu’elle soit consommable.

Les premières ignames sorties des buttes sont offertes aux êtres invisibles qui habitent les lieux. On choisit deux petites ignames qu’on fend en deux. La moitié de chaque igname est placée à chaque extrémité du champ en amont et en aval. Sur le chemin du retour au village, on laisse tomber un morceau d’igname à la traversée de chaque rivière et à la croisée des chemins.

La veille de la fête, le tam-tam parleur, l’Etigbanon, annonce la nouvelle à tout le village, vers 18 heures.

Le chef de terre offre un canari de vin de palme ou une bouteille de vin rouge au tambourineur et il verse lui-même de la boisson en invoquant Dieu, les génies des rivières du village et ceux des rivières où l’igname a été produite.

Les ancêtres sont invités à venir manger le lendemain le repas qu’il va leur offrir. Il leur présente ensuite les victuailles et les animaux à immoler (oeufs, poulets et moutons généralement).

L’igname du sacrifice est gardée avec soin pour la tenir éloignée des cabris et des moutons, car ces animaux ne doivent pas la consommer avant le sacrifice.

Le jour de la fête, tous les outils utilisés pour la réalisation du champ sont lavés et placés ensemble à un endroit précis. Dès 08 heures, le repas du sacrifice est prêt. Le chef de terre se rend à un chemin de sortie du village sans traverser une rivière ou une grande route.

On choisit un emplacement où un autel est dressé pour l’offrande constituée d’une boule de foufou blanc, d’une boule de foufou rouge, du jaune et du blanc d’oeuf, du poisson, du foie, du coeur, des pattes et des parties blanches et rouges des animaux immolés.

Le chef de terre goûte d’abord le repas à offrir, puis invoque Dieu, les mânes des ancêtres, les génies des rivières, des étangs sacrés et des bois. Il appelle leur bénédiction sur la population, les enfants, les jeunes, les femmes, les hommes, les élèves, les étudiants, les travailleurs et les cadres.

Il demande la santé de la population et l’abondance de la production agricole sur le village. Ensuite il offre à boire, généralement du vin de palme, à ses invités invisibles.

Sur le chemin du retour, il jette du foufou des deux couleurs à gauche et à droite. Revenu chez lui, il place du foufou sur les outils préalablement lavés et rangés pour les récompenser de leur effort.

Il jette du foufou dans les coins et recoins de la cour. Enfin il mange et invite les sages qui forment sa cour à manger avec lui. On arrose le repas de vin de palme. Le tam-tam parleur annonce l’évènement à la population: « Nanan a mangé l’igname, Nanan a mangé l’igname ».

Les femmes peuvent maintenant préparer l’igname pour tout le village.

Le sacrifice du Miripôh, véritable fête des ignames en pays Abbey, précède la fête du Djidja (fête de la purification) qui démarre en septembre pour prendre fin en décembre, selon un ordre précis.

Le canton Morié ouvre les festivités en septembre, suivi du canton Tchoffou en octobre. Le canton Khos prend la relève en novembre et la série des fêtes s’achève en décembre avec le canton Abbeyyé.

Selon les chefs de terre, on ne peut pas aller à la fête de la purification sans avoir fait le sacrifice du Miripôh.

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