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Les caïmans sacrés de Gbanhui

Selon nos informateurs, le site actuel du village a été cédé aux fondateurs abron par les autochtones Kulango. Gbanhui où cohabitent de nos jours Abron et Kulango (ce qui est rare dans la région) est un village de création kulango, si l'on se réfère à son appelation.

Les Kulango seraient arrivés à cet endroit après de longues et pénibles batailles. Ainsi leur chef guerrier décida de s’y arrêter à cause des souffrances (Gbanlé) que sa troupe avait eu à supporter durant de longues années de guerre. II s’exprima en ces termes ; « installons nous ici car la souffrance (gbanlé) actuelle ne nous permet pas d’opérer un choix plus judicieux. Restons donc ici même si nous devons encore souffrir : bi Gbanlé, yew yew ». C’est ainsi que le village qui fut fondé dans la souffrance et la peine reçut le nom de Gbanle, qui plus tard, par déformation, deviendra Gbanhui.

La tradition de Gbanhui veut que ce soit Sie Don Zounon qui ait été le fondateur du village.

II est intéressant de noter que c’est le fondateur de Gbanhui , Sié Don Zounon, qui le premier a localisé la petite rivière aux caïmans (Yégbaligba). Cette rivière a été identifiée par les fondateurs de Gbanhui sous le nom de Yonyongo, mot kulango qui signifie « fraîcheur ». En effet, il semblerait que c’est effectivement cette petite rivière qui permit aux guerriers alors très harassés de se rafraîchir, d’où son nom de Yonyongo. Pour mieux s’approvisionner, dit la tradition, un fils du fondateur de Gbanhui se mit à creuser dans le lit de la petite rivière qui n’était pas très profond. C’est de cette manière qu’iI mit à nu les caïmans. Comnent sont-iIs alors devenus sacrés ?

Quand ce fiIs découvrit les caïmans, les guerriers très affamés décidèrent de les tuer pour naturellement les consommer. La tradition orale dit qu’au moment où le premier caïman fut tué, le fils du chef mourut. Après ce triste évènement, le fondateur Sié Don Zounon, sans consulter les devins, prit la ferme décision d’interdir le massacre des caïmans. C’est ainsi que les caïmans devinrent sacrés pour les habitants de Gbanhui. On constate donc que la sacralisation des caïmans date de la création même du village.

A Gbanhui , comme à Sapia, il y a une famille : Sako bô bénê (la famille de la terre) qui est chargée, depuis la nuit des temps, d’adorer les caïmans sacrés. Un jour dans la semaine est dédié à l’adoration des caïmans et au cours duquel on leur sacrifie un animal domestique. Ce jour correspond à ce qu’on appelle en Abron « Zobo ». Ce jour-là, iI est interdit au commun des mortels de se rendre à la rivière Yonyongo.

La particularité du système traditionnel de protection de la nature en vigueur à Gbanhui, est qu’ici toutes les espèces de poissons de la rivière Yonyongo sont des totems, c’est-à-dire qu’elles sont des interdits alimentaires pour tous les habitants du village.

Ici comme aiIleurs, on veille à assurer la sécurité alimentaire du monde aquatique, en particulier tel le des caïmans ; les habitants les nourrissent quotidiennement. Cette tâche n’incombe pas à la seule famille adoratrice, car selon nos informateurs, iI s’agit d’un devoir pour tous les habitants du viIlage. Les caïmans, ici, consomment tout ce que les humains mangent, à savoir le riz, la banane, I’igname, le manioc, etc…

La complexité et le caractère intégral de l’approche traditionnelle de conservation résident dans le fait qu’ici, non seulement la rivière Yonyongo, les poissons et les caïmans sont sacrées, mais également la forêt dans laquel le se trouve la rivière est sacrée et soigneusement préservée. II s’agit d’une véritable « réserve » où i I est interdit de faire la chasse (protection de la faune) et surtout de cultiver (forêt classée). Selon un cadre de Gbanhui, Gboko Baffouo, chef de service de la documentation à Fraternité Matin, la superficie approximative peut être évaluée à 2.000 m2.

En d’autres termes, ici, la faune, la végétation, le cours d’eau ont été classés par la tradition. A Gbanhui personne n’ose violer cette règle ancestrale. Les liens très intimes, voire même de fraternité qui existent entre les caïmans sacrés et les habitants de Gbanhui font que quand un caïman meurt, on procède à un enterrement comme si c’était un homne. Pourquoi enterre-t-on les caïmans ? Voici une question qui fait revenir à l’esprit un vieux débat historique sur les causes de l’inhumation chez les hommes.

Enterre-t-on les caïmans dans le but d’éviter la pollution de l’eau, puisque ne consommant pas les caïmans, les cadavres non inhumés pourraient se décomposer dans la petite rivière déjà très stagnante ? Ou bien est-ce par amour pour ces espèces aquatiques qui « fondèrent » ensemble avec les ancêtres le village actuel de Gbanhui ?

La seconde hypothèse semble mieux adaptée ici dans la mesure où pour les habitants de Gbanhui, le respect dû aux caïmans est équivalent à celui voué aux ancêtres. Ceci est confirmé par I’importance que la société africaine accorde au cuIte des ancêtres. Ce qui fait qu’ici on observe « une identité absolue entre le social et le religieux ».

Les funérailles d’un caïman sont célébrées exactement de la même manière que pour un être humain. D’après le chef de Gbanhui « quand un caïman décède, on organise ses funérailles en battant des tam-tam, en dansant, en tirant des coups de feu en l’air et surtout en pleurant le « Dobio ». » A la différence de ce que nous avons observé à Sapia où le silure mort est enterré au bord de la rivière, à Gbanhui , il existe un cimétière pour les caïmans, mais ce cimétière n’est pas sacré. D’ailleurs, il n’est pas important au point de vue de la superficie dans la mesure où « les caïmans connaissent un faible taux de mortalité ». Les caïmans de Gbanhui, ainsi protégés contre les assauts des braconniers, jouissent d’une grande espérance de vie. Les vieux ne se souviennent même plus quand ils ont eu à enterrer pour la dernière fois un caïman. Cette faible mortalité a entraîné un surpeuplement relatif mais personne à Gbanhui n’a aucune idée du nombre de caïmans vivant dans la rivière. Ils sont très nombreux disent seulement les vieux !

Les femmes de Gbanhui puisent régulièrement l’eau de la rivière aux caïmans mais aucun incident n’a été enregistré depuis que le viIlage existe. Selon les sages du village, il n’y a jamais eu d’incident parce que les consignes des ancêtres sont scrupuleusement respectées. En effet, la tradition de Gbanhui a élaboré un ensemble de « règles » dont le respect assure la sauvegarde des animaux et la sécurité des humains. Selon nos informateurs, les interdits à respecter afin de maintenir de bonnes relations avec les caïmans sont Ies suivants :
– on ne va pas à la rivière avec un tissu noir ;
– les femmes ne doivent pas y aller avec des ustensiles de cuisine et surtout elles ne doivent y mettre les pieds en période menstruations.
– Dans la forêt qu’interdit qui entoure la rivière aux caïmans, il est interdit de s’approvisionner en bois de chauffe et de faire la chasse . Cette forêt abrite aussi des singes qu’il est interdit de tuer. Cette interdiction rappelle la sacralisation des singes, dont un exemple type se trouve dans le village de Soko, situé à sept kilomètres de Bondoukou.

Source: « Histoire Ecologique du pays Abron – kulango (Sié Koffi, Ibo Guéhi Jonas

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