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Moossou, village fidèle à son histoire

Situé en bordure de lagune et à l'embouchure du fleuve Comoé, à l'est de la Côte d'Ivoire, le petit village de Moossou semble perdu au milieu de l'urbanisation galopante de Grand Bassam. Pourtant, il garde farouchement l'héritage que son histoire lui a légué et reste fermement la « capitale » des Abourés Ehê, une des trois branches du peuple Abouré.

Exode du Ghana
Au 17e siècle, les ravages du commerce négrier qui se développe sur la Côte de l’Or (Ghana) poussent plusieurs peuples Akans à migrer vers l’ouest. C’est ainsi que les Abouré fondent les villages de Dibi, Aboisso, Wessebo et Ahabakro, cette dernière étant la première capitale du royaume qu’organise le Roi Aka Ahoba, conducteur de la migration des Abouré. Au début du 18e siècle, les Agnis-Brafé entreprennent la conquête du pays occupé par les Abouré et y fondent le Royaume du Sanwi. Vaincus, les Abouré partent pour le Sud-est de la zone côtière. Là, ils se répartissent en trois groupes : les Ehê créent le village de Moossou, les Ehivé, les villages de Bonoua et Odjowo, et les Ossouen, le village d’Ebrah. Plus tard, au début du 19e siècle, les Abouré sont rejoints par leurs cousins, les N’Zima, venus eux-aussi du Ghana. Dès leur arrivée, les N’Zima s’installent sur des terrains que leur cèdent les Abouré et qui sont les quartiers Petit-Paris, Quartier-France, … de l’actuel Grand Bassam, initialement simple quartier Moossou mais dont la taille dépassera vite le village Abouré.

Arrivée des Européens
Au 15è siècle, Européens accostent sur le littoral et établissent les premiers contacts. Les Portugais sont les premiers à arriver, avec Da Costa Soeiro qui en 1469 découvre le site de Grand-Bassam avant d’aller se fixer plus loin à Elmina (Ghana actuel). Entre 1470 et 1471, Joao de Santarem et Pedro Escobar abordent la côte. Les villes ivoiriennes telles que Sassandra, San Pedro, Fresco, … rappellent leur passage. Les premiers français à s’établir sur la côte sont, en 1637, les prêtres capucins de Saint Malo à Assinie. Par la suite, les agents Hollandais, Anglais et Français prennent la relève des Portugais et pratiquent le troc avec les populations du littoral, échangeant or, ivoire, gomme, peaux de léopard, épices, huile de palme et esclaves, contre barres de fer, verroterie, vieux fusils, eau de vie, tabac, cauris, ustensiles divers et tissus. En 1883, Arthur Verdier est le premier Résident de France à Grand-Bassam.

Splendeur et déclin de Grand Bassam
En 1897, un wharf est édifié à Grand-Bassam, entraînant un accroissement du trafic maritime et l’installation de grandes maisons de commerce : Compagnie Française de la Côte d’Ivoire (CFCI), Société Commerciale de l’Ouest Africain (SCOA), Compagnie Française de l’Afrique de l’Ouest (CFAO), etc…. Leurs comptoirs centralisent les produits provenant de l’intérieur (ivoire, or, bois, caoutchouc, palmiste, etc…) et destinés à l’exportation. En retour, ils alimentent le territoire en produits manufacturés. En 1923, un second wharf est construit à Grand Bassam. A partir de 1931, la construction du wharf d’Abidjan, le percement du canal de Vridi, et l’ouverture du nouveau port en eau profonde d’Abidjan entraînent le déplacement des grandes maisons de commerce de Bassam vers Abidjan, provoquant inévitablement le déclin de la première capitale administrative et économique de la colonie. Aujourd’hui, la production cocotière et la pêche sont les activités principales des autochtones de Grand-Bassam et Moossou. L’ouverture de l’embouchure du fleuve Comoé permettrait à la mer d’alimenter en poisson les lagunes et le fleuve, pour le bonheur des pêcheurs

Organisation des Abouré
Moossou, siège de la royauté Abouré, ne semble pas être guetté par la menace de l’aliénation et garde vivants les mœurs, usages et coutumes et l’héritage politique, social et culturel que son histoire lui a légués. En vérité, Moossou est un exemple parlant du maintien des valeurs et civilisations africaines. Les « Otchouon » (familles claniques), les « Ofwa » (classes d’âge) et le « Mligbli » (Monarchie héréditaire) sont les trois piliers de l’organisation sociale ds Abouré de Moossou. La famille ou Otchouon est l’ensemble de tous les parents utérins, à quelque degré qu’ils appartiennent, appelé « Blata » ou descendants d’une même arrière grand-mère. Comme dans tous les villages Abouré, à Moossou, il existe sept clans (familles), à savoir : les Samandje-Mle (la chaîne aînée de tous les clans), les Ogboun ou Assokopouè, les Moho, les Wossouan, les Assomoho, les Wossan Ehe, les Adjeke-Poue. Chacun de ces clans a un rôle bien particulier. Le clan Samandje-Mlé est le clan royal d’où sont issus les Rois de Moossou. Le clan Ogboun ou Asokopouè est le détenteur du pouvoir militaire, fournisseur des troupes et également propriétaire terrien. Le clan Moho assure le service officiel d’information. Tous les autres clans ont des qualités spécifiques et jouent un rôle précis dans la communauté. Chaque famille a un symbole, le « Ebihim », une chaise dans laquelle les membres d’une même famille se reconnaissent. A partir de la huitième génération, un Blata se décompose en d’autres « Mlata » autour d’autres chaises. Précieuses et sacrées, ces chaises familiales sont généralement abritées dans une salle dite « Adisye » où s’organisent les réunions, les fêtes et les funérailles de la famille. Chaque année, en principe, de façon périodique, les chefs de famille organisent une cérémonie de toilettage des chaises. Pour l’occasion, des offrandes (moutons, poulets immolés, foufou d’igname) sont offertes aux chaises qui ont été préalablement nettoyées dans la lagune et badigeonnées de kaolin. La succession, matrilinéaire, se fait sur la chaise et autour de la chaise.Cette organisation des familles se poursuit dans l’univers des morts. Le cimetière est à cet effet organisé selon ces clans.

Classes d’âge et générations
Moossou a conservé la division du village en deux principaux quartiers correspondant aux quartiers créés par les deux premières générations. Dans chaque quartier, chaque génération est subdivisée en quatre classes d’âge : les Attiblé, les aînés, sages, grands conseillers de la génération ; les Baoulé, les intrépides, fer de lance dans les conflits. ; les Djamian-minlibé, les cadets ; les Djamian, les benjamins. Chaque génération s’organise autour de plusieurs fonctions et responsabilités : les chefs de génération ou chefs d’Etat major, les héros, les portes paroles, les crieurs publics et les batteurs du tam-tam parleur. A chacune de ces fonctions correspond un clan bien précis. Malgré la modernité, la tradition continue de rythmer la vie des populations de Moossou. La présentation du nouveau-né et la fête de la maternité et de la naissance, le rituel des femmes pour conjurer les calamités, la danse du « N’Hour », le rituel en cas de relations sexuelles incestueuses, le « Môtô-môt », le tribunal coutumier, etc, animent encore la vie des habitants de cette localité.

Cour royale
Deux statues en bronze trônent dans la Cour Royale de Moossou : celle symbolisant le sacrifice de la Reine Abla Pokou, qui a guidé le peuple Baoulé du Ghana vers la Côte d’Ivoire, et celle de la Reine Mère N’Moh Vadjo dont le nom « Moho » a donné « Moossou ». On observe aussi de nombreuses statuettes de corbeaux, oiseaux mis à l’honneur car ils ont guidé le peuple Abouré dans son exode depuis le Ghana. Le peuple Abouré Ehê de Moossou célèbre chaque année la Fête des Générations qui se tient vers la période de Pâques. L’actuel roi des Abouré de Moossou est Sa Majesté Nanan Kanga Assoumou.

Source: pascalchristian.fr

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